L'ECOLE EN ALGERIE avant 1962 (2) - Enseignement et Colonisation

Publié le par Cercle Algérianiste d'Aix en Provence

LES ENJEUX DE L'ECOLE EN ALGERIE AVANT 1962 - 2ème partie

 

Le 22 février dernier, la présidente du Cercle algérianiste d'Aix-en-Provence, Evelyne JOYAUX, a tenu une conférence sur un sujet qui lui est cher : "l'Ecole en Algérie avant 1962".
Après la publication de la 1ère partie intitulée : " Scolarisation en Algérie", nous publions la 2ème partie : "Enseignement et Colonisation". La 3ème et dernière partie sera consacrée aux "Instituteurs du bled : un sacerdoce".

 

2ème PARTIE

Enseignement et colonisation

Rappel : A la fin du XVIIIe siècle, les révolutionnaires qui se disent héritiers des Lumières considèrent l’Homme comme un absolu qui ne peut qu’aspirer à la civilisation et à s’affranchir de la barbarie. Afin de façonner cette humanité nouvelle deux conceptions de l’Education sont en concurrence. Pour les uns, l’Education doit être  rupture totale avec le passé et les croyances anciennes. Pour les  autres, le respect des consciences s’impose. C’est le point de vue de Condorcet.

A la fin du XIX siècle, des hommes comme Paul Bert et Jules Ferry veulent achever l’idéal de la révolution de 1789, détourné selon eux par les accommodements avec l’Eglise catholique. Ils considèrent que l’Enseignement doit être gratuit, obligatoire et laïque, afin d’imposer au peuple français l’idéal de progrès et de civilisation auquel tous les hommes doivent aspirer. La politique de colonisation s’inscrira naturellement dans le prolongement de cet idéal puisqu’ils le conçoivent comme universel.

                    
                    L’idéal et le réel. L’école en métropole au XIXe siècle. Repères.

La loi du 25 octobre 1795 prévoyait une école par canton mais ni la gratuité, ni l’obligation.

En 1833 la loi Guizot a consacré la liberté de l’enseignement primaire en l’organisant sur le principe d’une école publique ou privée pour toute commune de plus de 500 habitants

-Le nombre d’écoles augmente entre 1800 et 1880 mais souvent les locaux sont inadaptés (domiciles de particuliers, granges, vieux châteaux). Les maîtres sans formation véritable, exercent souvent un autre métier car les salaires sont bas (sacristains, fossoyeurs, cordonniers, tailleurs). Seuls les indigents ont droit à la gratuité. Dans les  campagnes les enfants ne fréquentent l’école que l’hiver

Au cours du XIXe siècle une lutte plus ou moins ouverte se développe entre l’autorité morale du curé et les tenants de l’école laïque.

En 1870 la France est vaincue par l’Allemagne ce qui entraine la  perte de l’Alsace Lorraine.

Des hommes comme Jules Ferry et Paul Bert considèrent que la France, mise au pied du mur par la défaite, est en danger de perdre son rayonnement, ce qui menace la civilisation puisqu’elle en porte le flambeau. C’est à L’Education de provoquer l’élan du renouveau dans le peuple.

Le 10 avril 1870 Jules Ferry déclare «  « Je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j’en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j’ai d’âme, de cœur, de puissance physique et morale : c’est le problème de l’éducation du peuple »

Pour cela il faut recruter du personnel laïque, diminuer le personnel ecclésiastique, élever le niveau des études, former les maîtres par la création d’Ecoles normales. La loi du 16 juin 1881 fait de la possession des titres de capacité la condition pour enseigner.»

La Loi sur la gratuité date du 16 juin 1881. La Loi sur l’obligation et la laïcité du 28 mars 1882

 

                                    L’école en Algérie  au XIXe siècle. Repères

Comme nous venons de le voir opposer Enseignement et Colonisation chez des hommes comme Jules Ferry reviendrait à faire un contresens majeur.

Par décret du 3 février 1876 l’Algérie forme une circonscription académique. La législation qui régit l’Instruction publique en France est applicable à l’Algérie mais le contexte est très différent de part et d’autre de la Méditerranée :

-Les Zaouias Dans les tribus et dans les villes il existe un grand nombre d’écoles élémentaires (zaouïas) qui fonctionnent sans contrôle de l’Académie. Les religieux musulmans y  enseignent  la lecture du Coran et l’écriture de l’arabe, le calcul et le partage des successions (polygamie).Celles situées en zone militaire dépendent de cette administration. Tocqueville déplore que la Conquête ait diminué le nombre de zaouias en particulier en les privant du financement  des biens habous.

-Les écoles françaises : Elles sont ouvertes à tous. Nulle école française ne pouvait fonctionner sans l’autorisation du recteur qui a le droit de nommer et de déplacer les instituteurs.

Dans un premier temps on y avait intégré différents cultes (protestants, catholiques, israélite : écoles dites midrashim)

En 1870, par circulaire, le Gouvernement Général « conscient de l’intérêt politique que présentait l’assimilation des mœurs et la fusion des races »  invite les communes à supprimer ces distinctions et à recevoir dans les mêmes classes les enfants de tout culte et de toute nationalité. Ceci  conduit à la création des écoles mixtes quant au culte, et à la suppression des écoles israélites et protestantes.

Dans les années 1880 : il existe 742 maisons d’enseignement populaire (618 écoles et salles d’asile publiques et 124 écoles libres.)

« En ne tenant compte que des 475 écoles publiques européennes on trouve le rapport très satisfaisant de 1 école primaire pour 618 habitants européens. A Paris ce rapport dix fois plus faible est de 1 école pour 6600 habitants ». …..

La moyenne des enfants européens (et juifs naturalisés)  inscrits dans les écoles et les salles d’asile publiques et libres est de 19% d’une population de 203 717 hab (13% en France, 15% en Allemagne et 15,5% en en Suisse).

Toutes les écoles primaires et les salles d’asile publiques sont gratuites et les fournitures sont aux frais des communes

Les écoles françaises sont ouvertes à tous mais elles ne comptent que 1705 musulmans car il y a peu de demandes de ces  familles.  Par contre presque tous les enfants de 7 à 13 ans européens et israélites sont scolarisés. Pour ces derniers l’obligation scolaire s’avère donc inutile contrairement à ce qui se passe en métropole.

Il existe en outre

  • 102 Bibliothèques scolaires 12 000 volumes (112 volumes par bibliothèque, en France le nombre est de 94 volumes)
  • 1 maître pour 42 élèves ce qui est exceptionnellement favorable
  • Ecoles normales : Une  école normale de garçons à Alger (décret de 1865) une de filles à Milianah (décret de 1874) une de garçons prévue à Constantine. 30 maîtres sortiront chaque année de ces 3 écoles. Elles joueront un rôle essentiel dans la formation des maîtres du bled. 
  • M Levasseur : « L’Algérie est à peu près la première sur le tableau de l’instruction primaire (le seul pays qui ait sur elle un léger avantage est le Haut Canada) et la première sur le tableau de l’inspection secondaire. Il faut qu’il y ait une cause générale de cette supériorité : je la trouve dans la composition même de ces populations formées presqu’exclusivement de colons, marchands, laboureurs, artisans d’origine européenne, ayant plus de ressort que la plèbe indigente des villes ou que la masse souvent indifférente des campagnes ; chacun y sent le prix de l’instruction et veut en assurer le bénéfice à ses enfants »

 

-Les écoles arabes-françaises. Elles ont été créées dans le but  de rapprocher les populations, en particulier par l’apprentissage réciproque de la langue.

Dans les principales villes, on a créé un double enseignement de l’arabe et du français (lecture, écriture, calcul, système métrique dirigés par un maître français et un  adjoint musulman. Le directeur doit avoir le brevet de capacité et le certificat d’aptitude pour l’enseignement de l’arabe, délivré par le jury d’examen des interprètes  militaires).

Les résultats restent médiocres  (2 000 enfants musulmans sont scolarisés dans ces établissements sur 2 000 000)

-Les médraças : 3 établissements ont été fondés par la France à Alger, Constantine et Tlemcen. L’enseignement s’y donne exclusivement en arabe ou presque.

-En 1891 Une Commission sénatoriale étudie les questions algériennes. Dans les cahiers arabes de revendication les musulmans se disent  choqués par l’étude exclusive du Français. A l’instigation de M. Masqueray l’enseignement du Coran sera confié à un taleb  annexé à l’Ecole française

 

(A suivre)

 

Publié dans CONFERENCES, POINT DE VUE

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