NON AU 19 MARS - Le Dossier
Le 19 mars, la culpabilisation et la conquête des esprits
« Par la menace implicite qu’elle exerce et la peur qu’elle suscite, la culpabilisation permet au manipulateur d’obtenir des concessions « réparatrices » lesquelles sont d’ailleurs rarement suffisantes.» Alexandre Del Valle
« L’homme qui se sent coupable perd en même temps son efficacité et le sens de son combat. Convaincre l’homme que, sinon lui-même, du moins ceux qui sont de son côté commettent des actes immoraux, injustes, c’est amener la désintégration du groupe auquel il appartient. Roger Mucchielli - La Subversion
Sous la Présidence de Jacques Chirac, une loi votée en 2005 a fixé au 5 décembre de chaque année l’hommage aux Morts pour la France en Algérie. Pour le Chef de l’Etat cette date correspondait à l’anniversaire de l’inauguration du Mémorial édifié à leur mémoire, en 2002, quai Branly, à Paris. Elle ne se rattachait donc à aucun évènement politique ou à aucune tragédie spécifique dont le choix, ou l’interprétation, auraient été susceptibles de diviser les Français.
En 2020, le Président Macron a mis en marche le processus inverse. Il a réactivé les anciennes fractures en désignant M Stora, figure emblématique de l’histoire militante, pour le conseiller dans la sélection de nouveaux repères relatifs à notre histoire en Algérie. Avant même de lire le rapport rédigé par ce dernier, nous savions que la commémoration du 19 mars, date du « Cessez-le-feu » et des Accords d’Evian, ferait partie de ses propositions. C’est en effet la première citée, sans qu’il soit fait référence aux causes de l’opposition qu’elle a toujours suscitée. Par contre, quelques jours avant la 19 mars 2021, l’accusation portée par le Président de la République française contre son armée pour l’exécution d’un avocat du FLN, lors de la Bataille d’Alger en 1957, était imprévue. Nous n’avons pas appris que M. Macron attendait une démarche semblable de la part de l’Algérie concernant l’assassinat des enfants d’El Halia, les victimes des bombes du Milk Bar ou du Casino de la Corniche, pour ne citer qu’eux.
La commémoration du 19 mars est devenue une arme politique. Elle ne l’était pas après 1962 comme le déclarait devant l’Assemblée Nationale le député du Tarn Jacques Limouzy : « Personne, -je dis bien personne-, n’aurait alors songé à illustrer d’une manière particulière ce 19 mars ». Il ajoutait que le nouveau Premier ministre d’alors, Georges Pompidou, avait fait deux déclarations devant cette même Assemblée pour l’alerter sur « …toutes sortes d’exactions, d’internements arbitraires, de rapts, de massacres, et notamment de Harkis bientôt impossibles à chiffrer ». On établira plus tard qu’ils firent beaucoup plus de victimes que celles dénombrées depuis le 1er novembre 1954.
De Valéry Giscard d’Estaing à Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, les Présidents successifs ont tous écarté l’idée d’une « célébration » du 19 mars. On est donc en droit de s’interroger sur l’objectif de ceux qui reviennent sans cesse à la charge pour l’obtenir. Avec sa subtilité habituelle le Président François Mitterrand ne nous indique-t-il pas qu’il faut en chercher les raisons lorsqu’il déclare: « S’il s’agit de décider qu’une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie, cela ne peut pas être le 19 mars ». En effet, s’il s’agit d’autre chose que du souvenir des victimes, de quoi cette date doit-elle devenir le symbole ?
Le Parti communiste nous éclaire sur ce sujet. Dans sa proposition de loi du 7 juillet 1998, il cite les raisons qu’il a de vouloir officialiser le 19 mars. Après avoir invoqué l’hommage aux souffrances endurées par les combattants, le texte précise : «…cette mesure aurait une autre conséquence importante. Elle favoriserait la reconnaissance du caractère de guerre des opérations menées par la France en Algérie, au Maroc et en Tunisie. »…L’essentiel vient à la fin : « En aidant à reconnaître que la France s’est engagée entre 1952 et 1962 dans une véritable guerre qui ne peut être oubliée, la reconnaissance du 19 mars créerait les conditions d’une meilleure compréhension de la nocivité du colonialisme et du mépris voué aux peuples en lutte pour leur liberté. » (Cf texte intégral de la proposition de loi, en annexe)
Soulignons que la proposition de loi du PC plaçait, à dessein, la Tunisie et le Maroc, qui étaient des protectorats récents, sur le même plan que la Régence d’Alger conquise par la France sur les Turcs en 1830. Ce territoire nommé officiellement « Algérie », par ordonnance royale du 15 avril 1845, allait donner naissance à des départements qui, en 1962, étaient donc plus anciennement français que Nice et la Savoie.
Le concept de guerre d’Algérie
Dès les attentats du 1er novembre 1954, les « intellectuels » français voulurent imposer le concept de « guerre d’Algérie » ; une manœuvre dont le Gouverneur Général Jacques Soustelle eut très vite pleinement conscience et dont il comprit les implications. En 1955 il répondit aux signataires du « Manifeste contre la guerre d’Algérie » : « On commence par poser en principe qu’il y a une guerre en Algérie…. Un état d’insécurité sporadique et variable, des attentats individuels, des embuscades, des incendies, est-ce la guerre ? Sans doute dira-t-on, c’est une question de définition. Mais dans ce cas, le seul fait d’appeler « guerre » ce qui se produit en Algérie est déjà un geste et un choix. …. Il y a donc là dès le début et sur le point le plus important, une équivoque, -involontaire ?- qui consiste en ceci, que l’on baptise arbitrairement « guerre » un état de chose très particulier, et qu’instantanément le mot est pris dans son sens plein et habituel, avec tout le cortège d’images qu’il évoque. Ce tour de passe-passe est évidemment destiné à créer un complexe de culpabilité. » (Cf. le texte intégral de la lettre de Jacques Soustelle aux intellectuels, en annexe)
Aujourd’hui, si l’on prétendait que la France est « en guerre » contre une partie de son territoire parce que des attentats y sont commis, cela ne reviendrait-il pas à anticiper une séparation possible ? En effet une « guerre » reconnaît l’existence de deux « forces » clairement identifiées ; une ingérence internationale n’est plus à exclure. Dès 1955 Jacques Soustelle savait que le choix de ce mot par les signataires du Manifeste n’était pas anodin. Impropre à l’époque, il donnait pourtant un cadre et un début de réalisation à l’idée de séparation.
Ce n’est qu’en 1999, soit 37ans après l’Indépendance, que le concept de « Guerre d’Algérie » finira par être imposé. Ce que Robert Bret, sénateur communiste des Bouches-du-Rhône, commente ainsi : «En 1999 le parlement français unanime votait une loi reconnaissant l’état de guerre en Algérie ; rétablissant ainsi la vérité historique en même temps que l’honneur des combattants. La nation rendant ainsi sa dignité au citoyen combattant…»
Mais bien avant cela, dans l’opinion publique française, l’expression « la Guerre sans nom » était devenue familière. Le cinéma, la presse, l’édition s’y étaient employés. Aujourd’hui elle est encore utilisée dans le but de dénoncer le refus de la France de reconnaître les faits, de minimiser sa violence; elle l’est surtout dans le but de l’établir définitivement comme puissance occupante de l’Algérie. Mais si tel est le cas comment nommer les Harkis, d’ailleurs bien plus nombreux au sein de l’Armée Française que ceux qui la combattaient ? Comment nommer les porteurs de valise ?
La Guerre et la Paix
Ceux qui, soixante ans après notre exode, veulent toujours officialiser le 19 mars peinent à le justifier par « le Cessez-le-feu » lorsqu’on est en mesure de leur rappeler que ce cessez-le-feu fut immédiatement suivi par la fusillade de la rue d’Isly, le 26 mars à Alger, par la multiplication des assassinats et des enlèvements, par le massacre du 5 juillet à Oran et par celui des Harkis restés fidèles à la France. Des dizaines de milliers de personnes tuées ou enlevées qui avaient en commun d’avoir été abandonnées à leur sort par la France.
Ce que le député Yves Fromion rappelle avec force : « Mme la rapporteure a affirmé lors du débat (le 15 janvier 2002) que cette « guerre » est difficile à comprendre tant elle semble prendre en défaut les valeurs de la République. Peut-être a-t-elle raison ; mais alors pourquoi la République imposerait-elle aux principales victimes de ses propres errements d’être à jamais, le 19 mars, cités à la barre du tribunal de l’histoire ? Pourquoi le devoir de mémoire devrait-il se nourrir d’une injustifiable humiliation de nos armées chaque 19 mars ? Pourquoi impliquerait-il d’infliger des violences supplémentaires aux harkis et à leurs familles qu’on condamnerait en quelque sorte à se souvenir que le 19 mars, les combattants de l’ALN, qui allaient devenir leurs bourreaux, furent autorisés à rentrer sur le sol algérien, d’où l’armée française les avait écartés ? Pourquoi trouverait-il une légitimité particulière dans le fait d’imposer à nos concitoyens Pieds-noirs cette date, la seule qu’ils ne peuvent accepter ? Pourquoi la République devrait-elle trouver des victimes expiatoires, pourquoi cet acharnement ?
On a tenté de nous expliquer que le 19 mars s’apparentait au 11 novembre et au 8 mai : comment peut-on occulter qu’il y a eu en Algérie après le cessez-le-feu trois ou quatre fois plus de morts dans les effectifs combattants que pendant la période des hostilités ? Comment Mme la rapporteure peut-elle parler à propos du 19 mars de « victoire de la raison sur la folie meurtrière ? »….. (Cf. l’interview du Ministre Pierre Pasquini et la déclaration du député Guy Teissier, en annexe)
60 ans après l’exode des Français d’Algérie qui ne sont sans doute plus qu’une poignée à vivre sur leur terre d’origine, et de moins en moins nombreux en France, nous pourrions nous étonner de débattre encore de ces sujets. C’est sans doute que nous n’en avons pas fini avec la guerre, avec celle qui fait de la culpabilisation une arme actuelle de conquête des esprits.
" La plus dangereuse des invasions l’invasion de la vie intérieure, est infiniment plus dangereuse pour un peuple qu’une occupation territoriale." Ch. Péguy. (Cf. le timbre de la victoire édité en Algérie, en annexe).
Evelyne Joyaux
DOCUMENTS ANNEXES
CHRONOLOGIE AUTOUR DU 19 MARS
CONFÉRENCE DE PRESSE DE FRANÇOIS MITTERRAND DU 24 SEPTEMBRE 1981
Extrait relatif au 19 mars