Pieds-Noirs : Cérémonie de la transmission - 12 mai 2012 (III)

Publié le par Cercle Algérianiste d'Aix en Provence

 

Sur le parvis de la Cathédrale de la Major de Marseille, la foule rassemblée a écouté le texte suivant :

(accompagné d'archives sonores)

 

P1040682Voix Homme :

Cinquante ans !

Il y a cinquante ans, ce n’était pas une guerre qui se terminait, comme la France en avait tant connu auparavant.

Ce n’était pas le déplacement  incommode de quelques familles.

Il y a cinquante ans, des hommes saccageaient nos vies pour mettre fin à ce que la France avait créé en Algérie, depuis 1830.

Il a fallu fuir !

Alors, à Marseille, chaque jour, des bateaux arrivaient. Ils transportaient deux fois, trois fois, quatre fois plus de passagers qu’ils n’auraient du.

 

Voix Femme  :

Sur le pont nous avions d’abord aperçu la côte un peu brumeuse, puis Marseille et Notre-Dame de la Garde en vigie au-dessus de la ville. En entrant dans le port le vent du large avait cessé de fouetter les visages. Nous regardions le quai s’approcher. Puis les machines s’étaient tues.

Aujourd’hui,  nous voici sur ce même lieu.

Beaucoup de ceux qui nous entouraient alors, sont morts maintenant, et vous êtes là, à leur place, nos enfants, nos petits-enfants et même parfois arrière-petits enfants, sur le seuil de la Cathédrale de la Major.

Ne dirait-on pas qu’elle a été construite ici pour nous, se superposant désormais au souvenir de ces quais au long desquels les bateaux accostaient en 1962 ?


Voix Homme :

D’une certaine façon, cette cathédrale est aussi une passerelle.

Elle date de l’époque, le XIXème siècle, où le va et vient entre Marseille et les villes de la côte algérienne était gage d’activité, de vie et d’avenir.

Mais elle fut construite dans le respect de ce qui avait existé, sur ce site, durant des siècles.

Les architectes voulaient concilier en elle les influences romanes et byzantines, les influences d’Occident et d’Orient.

Elle est là pour confirmer le lien qui existe entre les époques et entre les générations, et pour rassembler  en un même lieu sacré, les hommes d’un même temps.


Voix Femme :

Les bâtisseurs, les artistes, et les enfants ont en commun de créer ce qui dure.

Nous connaissons tous ces vers de Du Bellay qui ont traversé 5 siècles et qui, dans leur simplicité, ressemble aux dessins des plus petits.


Vers récités par un enfant :

« Quand reverrais-je, hélas ! de mon petit village

Fumer la cheminée

Et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m’est une province et beaucoup davantage ? »

 

P1040688Voix Femme :

A chacun son berceau, dans la maison natale, sur la terre natale, dit Péguy, un autre grand poète.

Nous le savons bien. Notre berceau n’est pas celui de nos enfants.

Notre berceau d’images ne peut pas être le vôtre, vous qui êtes nés en Provence, ou dans un autre de ces paysages que le monde entier envie à la France.

Notre berceau à nous vous est inconnu. Cependant, tels que nous étions en Algérie, et tels que nous sommes arrivés ici, incomplets, déracinés, blessés, nous avons veillé sur le vôtre, et voilà que c’est vous, nos enfants, qui nous avez donné de nouvelles racines.

 

Voix Homme :

Aujourd’hui nous vous avons apporté deux images. Ce sont les deux faces d’une même médaille.

L’une représente cette cathédrale si proche du lieu où, comme nous l’avons dit, il nous a bien fallu débarquer et où il nous a bien fallu recommencer !

Une cathédrale bâtie pour accueillir et pour apaiser.

Pour le silence autant que pour la prière. Pour ce qui nous a été impossible de vous dire, aussi bien que pour ce qui nous a été impossible de vous taire !

L’autre face de la médaille que nous vous donnerons représente une famille sur un pont de bateau. A le dire ainsi, on pourrait penser à une publicité pour croisière, si l’on ne devinait le désespoir des passagers dans les silhouettes figées, tournées vers la côte.

Il y a 50 ans, depuis le large, nous avons regardé s’éloigner la côte d’Algérie que nos ancêtres avaient regardé s’approcher, un siècle auparavant.

Mais l’absence d’espoir faisait toute la différence entre eux et nous.


Voix Femme :

Certes, ceux qui s’embarquaient pour l’Algérie avaient durement éprouvé le poids de leur solitude et de l’inquiétude devant l’inconnu. Nous savons bien qu’elles sont les inévitables compagnes des hommes qui font un pas hors des routes déjà tracées, là où d’autres n’osent pas s’aventurer.

On leur avait promis qu’en se retroussant les manches ils se feraient une meilleure vie, puisqu’en Algérie il fallait tout construire.

 Bien vite, il leur était apparu que, se retrousser les manches ne suffisait pas toujours, car on mourait beaucoup en Algérie, de mort violente et plus encore des fièvres.

Cela se passait alors que le futur Empereur Napoléon III posait la première pierre de cette cathédrale de la Major où nous sommes aujourd’hui.

 

Louis Napoléon Bonaparte :

« Je suis heureux que cette occasion particulière me permette de laisser dans cette grande ville une trace de mon passage et que la pose de la première pierre de la Cathédrale soit l’un des souvenirs qui se rattachent à ma présence parmi vous…

Lorsque vous irez dans ce temple, appeler la protection du ciel sur les têtes qui vous sont chères, sur les entreprises que vous avez commencées, rappelez-vous celui qui a posé la première pierre de cet édifice, et croyez que, s’identifiant à l’avenir de cette grande cité, il entre par la pensée dans vos prières et dans vos espérances ».

 

Voix Femme :

Le futur empereur voulait donc aussi laisser des traces de sa vie, tisser des liens avec ceux qui suivraient…]

Le gouvernement français qu’il dirigeait, les gouvernements qui l’avaient précédé, et ceux qui lui succèderaient avaient décidé d’envoyer en Algérie des familles entières pour y défricher la terre, y bâtir des villages, y construire des routes, mais bien trop souvent, et plus vite encore, pour y mourir du paludisme, du typhus ou du choléra.

Mais parce qu’on y mourait beaucoup, on y vivait intensément, c’est-à-dire sans précautions, à la mesure de ce pays sans mesure.

 

P1040696Voix Homme :

Faire un pas en avant, sortir du rang, et pas tout seul, mais en entrainant femme et enfants pour aller vers l’inconnu, n’est pas le choix le plus facile.

C’est pourquoi, sans doute, à Marseille, et dans les mairies des villes et des villages de France, il n’y avait pas beaucoup de volontaires pour remplir les formulaires de départ vers l’Algérie.

Mais c’est pourquoi aussi les générations qui naquirent là-bas avaient le goût de la vie, de ses promesses et de ses combats comme on a le goût des alcools forts.

Albert Camus conseillait : « N’allez pas là-bas si vous vous sentez le cœur tiède et si votre âme est une bête pauvre ! »

Dans l’isolement d’un pays plein de dangers, « travailler » était le maître mot ; créer à partir de ses seules forces et faire face, non seulement pour survivre, mais pour donner sens à l’exil volontaire.

Il y fallait du courage pour ne pas se dérober devant l’effort, devant l’échec, ni devant la peur.

Là était l’honneur ! Là était l’enseignement de nos pères.

C’est tout ce que nous avions, en 1962, sur le pont des bateaux de l’exode.

C’est avec ce seul héritage que, parvenus en haute mer, nous nous sommes préparés à faire face à l’autre rive.

 

Voix Femme :

Et puis il y avait les enfants !

Les enfants ne rendaient pas les choses plus faciles, au contraire ! Mais pour les enfants, les parents mobilisent toujours plus que la force dont ils se croient d’abord capables !

Nos enfants devenus adultes savent, puisqu’ils sont ici, que notre histoire fait partie de l’osier dont furent faits leurs berceaux.

Alors, c’est aux plus jeunes que nous destinons l’image gravée de notre double traversée.

 

Voix d'un adolescent  : A quoi va-t-elle servir cette médaille ? 

 

Voix Femme:

A quoi va-t-elle vous servir ?

Elle ne peut pas se porter comme un bijou. 

Elle ne rapporterait pas d’argent si vous cherchiez à la vendre.

Elle est faite pour être oubliée quelque part, dans un tiroir, puis retrouvée un jour, sans que vous vous y attendiez,

Elle vous rappellera que l’on court des risques lorsque l’on prend le large, mais ce sont les risques de la vraie vie.

Elle vous rappellera qu’il faut savoir d’où l’on vient, et qu’il faut refuser de se renier soi-même, ou les siens, pour plaire ou pour être tranquilles, comme les hommes y sont conduits trop souvent aujourd’hui, par lâcheté ou par ambition.

« N’ayez-pas peur ! » recommandait le Pape Jean-Paul II. C’est le temps et le lieu de le citer !

« N’ayez pas peur » de vous retrouver seuls, à contre courant de ce qui suit la mode.

C’est lorsque les loups hurlaient le plus fort après les Français d’Algérie, qu’Albert Camus a écrit : « Et moi aussi je fais partie de la tribu ! ».

50 ans après notre exode, nous croyons toujours qu’il y avait plus de choses à imiter qu’à condamner dans les vies de nos pères en Algérie.

A vous, nos enfants, maintenant de faire respecter leur mémoire.

   

Evelyne Joyaux

 

 

Pamela, une jeune femme de 24 ans qui avait demandé à prendre connaissance de ce texte avant la cérémonie, se lève et répond :

« En 1962, nos familles ont été condamnées à fuir. A tout quitter. Tout abandonner.

En 1962, une partie de leur âme s’éteignait à mesure qu’elles atteignaient les côtes françaises.

En 1962, nos familles ne débarquaient qu’avec leurs souvenirs.

A l’horizon de l’année 2052, ils seront tombés dans l’oubli.

Leur vécu n’est pas le nôtre, mais leur passé, leur appartenance à cette tribu, a fait de nous ce que nous sommes : des enfants de pieds noirs, fiers de pouvoir aujourd’hui, en ce jour spécial, défendre leur mémoire, perpétuer leur histoire et transmettre ce bel héritage.

Parce qu’aujourd’hui leurs souvenirs sont devenus les nôtres,

Parce qu’aujourd’hui, leurs berceaux d’images sont devenus les nôtres,

Parce qu’aujourd’hui nous ne formons qu’un,

Enfants, petits enfants, n’oubliez jamais qui nous sommes.

Parce que comme nos parents, nous faisons partie de la tribu,

Et moi aussi, je suis fière de faire partie de cette tribu ».

 

Après elle, adolescents, enfants et petits-enfants de Français d’Algérie se lèvent à leur tour et déclarent: « Moi aussi, je fais partie de la tribu »

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RAPPEL : Chaque association organisatrice met à disposition des adhérents et sympathisants des médailles commémoratives au  prix de 15 euros.


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Publié dans MANIFESTATIONS

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