Film : Des hommes et des dieux

Publié le par Cercle Algérianiste d'Aix en Provence

Au moment où 7 otages (5 français et 2 africains) étaient enlevés à la frontière du Niger et de l’Algérie, à Arlit,  les écrans français projetaient le film de Xavier Beauvois « Des hommes et des dieux », l’histoire des 7 moines trappistes de Tibherine enlevés puis assassinés en Algérie, en mai 1996. On ne retrouva que leurs têtes.

Un million et demi d’entrées dans les jours qui ont suivi sa sortie : incontestablement, ce film qui tranche avec la filmographie bruyante et violente habituelle, connaît un grand succès jusqu’à être pressenti pour représenter la France aux Oscars d’Hollywood en mars prochain.

Le film «  Des hommes  et des dieux» raconte la peur, les hésitations, puis la détermination de ce petit groupe de moines à rester dans leur monastère installé dans la région de Médea, malgré les risques pesant sur eux, lors de l’affrontement entre le pouvoir et les islamistes algériens, dans les années 1990. 

Le film ne pouvait que susciter l’intérêt des Français d’Algérie qui en ont eu une lecture très diverse, si l’on en juge par les nombreux commentaires qu’ils ont adressés au Cercle Algérianiste d’Aix-en- Provence. Ce dernier a jugé intéressant de les confronter au cours d’une rencontre. Ce qui suit reprend plusieurs points de vue évoqués au cours de cet échange.  

 

L’unanimité s’est faite sur la qualité esthétique du film, dont les clairs-obscurs et séquences silencieuses du temporel rappellent (peut-être de façon trop appuyée?) les grandes œuvres peintes religieuses, tandis que les scènes de la vie courante contrastent par leur violence sonore et leur pleine lumière. La symbolique de la dernière scène où les moines gravissent leur Golgotha dans la neige (pureté) pour s’effacer dans les nuées est une saisissante réussite.

 

En revanche, la question du  sens du film reste posée.  

 

Que doit-on penser d’une œuvre amputée d’une partie de la réalité ?

Au Cercle, les avis sont partagés. Certes, il s’agit d’une œuvre, mais cette œuvre s’appuie sur une réalité, l’assassinat barbare des moines français trappistes. Certains se sont questionnés sur le fait que l'on ne montre pas les têtes des moines décapités. Il semblerait que la suppression de cette séquence ait été décidée au dernier moment par le réalisateur, probablement à la demande des familles.

Cependant, peut-on amputer une partie de cette réalité sans en orienter le message ?

Pour certains, les images réalistes de l’égorgement des travailleurs croates (qui précèdent) suffisent à évoquer la barbarie de ces assassinats. Pour d'autres, l'absence de ces images nuit à la dimension de ce sacrilège.

 

Le dialogue avec l’islam

Pour certains, le film révèle une asymétrie dans le dialogue avec l’islam : d’un côté, les moines sont à l’écoute du Coran, de l’autre, les villageois manifestent une profonde indifférence pour la religion des moines. Aucune indignation ne les ébranle  lorsque l’imam, lors d’une cérémonie de circoncision, devant ses invités « infidèles » dont la vie est menacée, cite un verset coranique dont la traduction serait : « Donne-nous la victoire sur les peuples infidèles ".

Ces faits ne surprennent pas l'une des intervenantes ayant vécu dans le "bled" où les rapports entre des communautés de religion différente étaient de cette nature, sans que cela ne choque pour autant : "Nous vivions côte à côte".

 L'un des intervenants a tenu à souligner la situation de l'Eglise, en particulier du diocèse d'Alger, entre 54 et 62 et à indiquer la montée en flèche du petit noyau, très peu nombreux mais très actif, des chrétiens progressistes, sous l'épiscopat de Mgr Duval. Or, le séminaire des Carmes à Paris, où le père de Chergé suivit ses études écclésiastiques dans les années soixante, fut un vivier de ce courant. 

Christian de Chergé, issu d’une famille où l’alliance de la croyance et du service à la patrie était co-substantielle, aurait  acquis dans ce Séminaire, où l’idée force était de renoncer à sa formation première, cette inclination pour un dialogue entre les deux  religions, sans lui faire perdre pour autant le sens de sa vocation, ce que le film exprime bien, selon cet intervenant.

D'autres, cependant, ont considéré, notamment que son allusion à Jésus "prince de la paix", qu'il tire d'un verset du Coran, nierait ce qui définit le christianisme. Ce point de vue est contredit par un intervenant pour qui cette appellation *ne met pas en cause la nature divine du Christ et est même conforme aux textes chrétiens.   

 

 

La dimension religieuse  

Ici, les avis sont encore partagés.

Pour les uns, ce film a une dimension éminemment spirituelle qui les a profondément bouleversés. Le titre, dans lequel  « hommes » est placé avant « dieux » (sans majuscules), ne serait pas profane mais conforme aux Evangiles ; pour preuve, le Psaume 81 : « Dieu se tient dans l’assemblée des dieux qui sont les responsables de la terre. Au milieu d’eux, il les juge. Jusques à quand vous jugerez en iniquité et prendrez-vous partie pour les impies ? J’avais dit : vous êtes des dieux ; cependant vous mourrez comme des hommes et vous tomberez comme tous les puissants d’ici bas. »

 

Pour les autres, le film s’ancre dans des valeurs universalistes actuelles, les moines seraient des héros d’aujourd’hui, hommes engagés, tournés vers autrui et étrangers aux valeurs matérielles. « Une chrétienté débarrassée de la foi », pour reprendre l’expression de Luc Ferry.

 

D’autres n’ont pas retrouvé l’éblouissement mystique présent dans « Dialogues des Carmélites » de Bernanos, et pensent que le film tergiverse entre sacré et profane (à l’exemple de la musique de « la mort du cygne » qui s’invite dans la scène du repas, sorte de duplication de la « Cène »), laissant au croyant ou non croyant le soin de s’y retrouver.

 

D’autres avis remettent en cause l’institution religieuse (représentée par ces moines), totalement contraire à la dynamique de progrès qu’avait engagée la France en Algérie, dynamique susceptible d’éloigner bon nombre de musulmans d’un respect scrupuleux de l’islam.

 

D’autres soulignent un rapport évident entre honneur et foi. C’est ce que le chef islamiste et Christian de Chergé semblent avoir en commun, plus que la foi elle-même. En cela frère Christian reprend l’avantage puisque l’islamiste se rend à ses raisons en sortant du monastère, alors qu’il est en armes, ce qui estcontraire aux règles du monastère.

 

La dimension historique

Tout ancrage historique (et géographique, puisque les paysages sont marocains) a disparu.   

Rien n’indique les liens qui ont uni la France à cette terre, pas plus que ceux qui ont lié ces moines à cette terre dans le passé.

Aucun rapprochement avec l’assassinat du Père de Foucault n’est  évoqué.

La seule référence au passé résulte des propos du walli (sorte de préfet) qui rend « la colonisation française responsable du retard que connaît l’Algérie et de la tragédie qui risque de l’emporter ». Ce à quoi, le prieur n’apporte ni assentiment, ni réprobation.  Ces derniers propos tenus par un politique que les moines qualifient de « corrompu » seraient, selon certains des intervenants, discrédités du fait même de ce jugement.

 

Le politique ?

Si le film, comme les moines, s’abstrait de toute prise de position, notamment sur la responsabilité de ce massacre, cependant, il se doit de présenter un état de la situation dans laquelle se déroulent les événements.

En cela, il ne peut s’exonérer d’un certain parti pris.

Certains intervenants - qui n'en dédouanent pas pour autant le pouvoir algérien - ont ainsi relevé que  le représentant local du pouvoir algérien est qualifié par le prieur de « corrompu » ; que les soldats algériens sont montrés sous un visage brutal et inquiétant, leur chef hostile et suspicieux, l’hélicoptère de l’armée qui survole le monastère, oppressant ... 

A l’opposé, le film ne montre-t-il pas la main tendue au prieur par le chef des rebelles islamistes, celui-ci ayant, par ailleurs, une stature noble  ? Le prieur ne bénit-il pas son cadavre mutilé lorsque les soldats algériens le lui présentent pour l’identifier ? Ces images pourraient suggérer une compréhension entre islamistes et religieux.

Ce dernier point de vue n'est pas partagé par un intervenant qui voit dans ces attitudes la condamnation de la corruption où qu'elle se trouve et la compassion, aucunement la compréhension.

 

Que penser des messages qui sont donnés ou, hélas, tus.

S'il y a une voix off à l’adresse des spectateurs (qui, sans cela,  pourraient se faire une image négative des musulmans ou des Algériens) pour rappeler la différence entre l’islam et les islamistes, rien n'est dit sur ce que sont devenus la pluplart des  lieux de culte chrétien et sur ce qu'est la place de l'Eglise en  Algérie. L’effet cathartique de la vérité, salutaire pour la période coloniale,  ne serait-elle  pas ici de circonstance ?

 

En conclusion : Il y une œuvre et son créateur. Mais il y a aussi  la manière dont est perçue une œuvre en fonction de ce qui est dit ou non dit.

Entre également en jeu le regard du spectateur : celui des Français d’Algérie s’ancre dans une histoire vécue sur cette terre et se nourrit d’interrogations autres que celles des métropolitains d’aujourd’hui.

La fréquentation des salles par de nombreux catholiques et religieux prouve l'intérêt intellectuel qu'il a suscité également dans ces milieux.

 

Le film exalte la fraternité des hommes, avec ou sans Dieu comme support, c’est selon les convictions de chacun, une « transcendance à la carte » en quelque sorte.

Mais on peut se demander quel est  l’avenir de cet idéal, s’il n’est pas partagé par tous ?  

Si le spectateur possède la foi, il ne doutera pas de l’utilité du sacrifice des moines pour l’amour des hommes. Mais si le spectateur ne croit qu’en ce monde, quelle leçon peut-il tirer de la passivité des moines devant le danger qui menace leur existence ?

 

Comme on le voit ce film a suscité de nombreux axes de réflexion  parmi nos membres et continuera sans aucun doute à le faire. C'est la preuve de ses qualités et de la richesse de notre Cercle.  

 

 * Cette appellation figure dans la Messe de l'Aurore, l'Introït, l'une des trois messes de Noël (précision apportée par l'intervenant, après réunion)

 

 

 

 

 

Publié dans POINT DE VUE

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